/e/ exposition/Programmation / The young man eatin' toaster tricks
by Raphaël Emine

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Au milieu d’un ciel bleu, transpercé de rayons lumineux, se dresse une série de tours en forme d’épingles dont les façades sont recouvertes d’un duvet végétal. Au pied des architectures, un feuillage touffu, mêlant le pourpre et le vert, s’étend irrépressiblement jusqu’à former un contrefort de plantes. Le monde naturel, presque omniprésent, semble envahir l’environnement urbain, embrasser les frontons et les toits, jusqu’à les ensevelir totalement.
Cette description succincte se réfère à la couverture d’un livre de science-fiction de Robert A. Heinlein mais aurait pu illustrer d’autres récits tant ce dessin offre un bon exemple du concept de “paysage du futur” qu’affectionne la littérature SF. C’est par cette idée de paysage insolite, de monde alternatif, que l’on peut aborder le travail de Raphaël Emine.
On y retrouve tout d’abord un attachement pour la superposition de formes, de couleurs, de lignes, qui jouent sur un déséquilibre. Ses sculptures, principalement en céramique et en verre, multiplient les configurations par l’ajout de couches successives de matière mais conservent systématiquement l’idée du réceptacle, qu’il soit clos comme avec les Turbines, ou ouvert avec la présence des coupoles, sortes de bassins où pullulent des matières organiques (cyanobactéries, lentilles d’eau).
Dans sa série des Bénitiers, les bactéries insérées dans les pièces altèrent la chromie de l’eau, les énergies s’y agrègent et, avec la combinaison de la terre, produisent des effets sur la matière même.
On est loin d’un no’mans land sablonneux et minéral, mais plutôt à la lisière d’un paysage singulier, couleur chlorophylle ou spiruline bleue, dont les surfaces arrondies sont encadrées par des supports rigides et géométriques afin de les exposer à la manière d’écosystèmes distincts.
L’artiste s’attache à donner corps à ces micro-mondes qui, par l’ajout de matière organique, deviennent le milieu naturel, l’Umwelt, de ces bactéries. Il y a une volonté de mettre à jour l’entrelacement constant entre le milieu, l’habitat que seraient ces sculptures, et les formes de vies qui les habitent. Raphaël Emine intègre ces mouvements en flux, ces variations causées par la porosité des matières, sans anticipation de ce qui pourrait émerger gardant à l’esprit que le monde matériel ne se conforme pas passivement aux modèles humains.
Le titre de cette exposition, The young man eatin’ toaster tricks, offre une possible conclusion. Peut-être les amateurs de Ghostbuster auront reconnu la référence faite au film. Il s’agit d’une scène, extraite du second volet des aventures de Bill Murray et de ses amis chasseurs de fantômes, dans laquelle l’acteur se retrouve la main prise au piège d’un toaster dont un spectre aurait pris possession. La plaisanterie est dévoilée après quelques secondes de tensions où l’on voit le comédien se débattre avec une matière rose fluo qui n’est autre qu’un liquide inoffensif. En filigrane, se pose une attention portée à la matière, entre celle qui existe et celle qui pourrait exister, laissant planer une certaine ambiguïté entre la “surface” et le “réel”.