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by Cyril Debon

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Daisy, 34 ans, égérie et artistes aux multiples facettes, est longtemps restée une figure secrète aux yeux du grand public. Passé l'âge de la grenouillère, pourtant, la jeune modèle a passé sa vie sous les projecteurs. Après sa longue carrière dans la mode, ses projets ont pris un nouveau tournant avec ses nombreuses apparitions au cinéma et un premier album encensé par la critique. Jamais lassée de nouveautés, elle apparaît cet automne au casting d’un projet artistique extraordinairement mené par Cyril Debon. Nous la retrouvons pour lui poser quelques questions, plus entière et passionnée que jamais.

Daisy, chacune de ces nouvelles étapes a progressivement modifié votre image auprès de vos fans. Comment vivez-vous ce changement de perception ?

J'ai incarné pendant plusieurs années un personnage plutôt traditionnel coquet, fragile et un peu guindé qui commençait à me coller à la peau d’une manière désagréable. En grandissant, j'ai compris que j'avais la chance de pouvoir investir complètement mon métier avec ma véritable personnalité. Cela fait longtemps, en réalité, que je cherche à me dégager du premier moule que je m'étais forgé. Pink Napkins, le projet de Cyril, est arrivé à point nommé. Quand il a commencé à me parler d’une galerie de portraits, j'ai compris qu'il ne pensait ni à Velasquez, ni à Pierre et Gilles, mais encore quelque chose d'autre. Quelque chose de sensible et d'extravagant. Il m'a parlé de la vie urbaine comme si c'était une entité aux multiples figures, traversée par toutes sortes d'émotions, et il a proposé à tout le monde d'incarner ces émotions de la ville à notre manière. C'était exactement cela que je voulais être et exprimer : la joie émue de vivre dans ce monde surnaturel.

La critique a décelé dans Pink Napkins un lien avec la science-fiction des années 1990, mais beaucoup d'autres références peuvent être reconnues. Quelle est votre propre lecture ?

Je dirais que si certaines personnes y ont vu ces références, c'est par une sorte de coïncidence. Le projet en est venu là parce qu'il était guidé par une vision libre et baroque, le même qu'il faut pour concevoir un film de science-fiction, mais il n'y avait pas de volonté spéciale de s'apparenter à la SF dans la direction artistique. Pour moi, c'est surtout la touche de Cyril qui passe au premier plan : un art des lieux humides qui réconcilie l’esprit classique et facétieux des grottes artificielles, le gloss des nuits en ville et la sueur mêlée de paillettes d'un cabaret de seconde zone. La manière dont il a déconstruit tous ces registres – l'académique, le pop, le médiatique, le vernaculaire… – n'est pas seulement esthétique en réalité. C'est une ligne qui est aussi politique que je n'avais encore jamais assumée dans ma carrière. J'appréhendais un peu de franchir ce cap, mais maintenant je sens que je ne pourrais pas être plus à ma place qu'à cet endroit-là.

Cela ressemble à une véritable révolution dans votre rapport à la création. D'où viennent tous ces changements ?

It's nothing but love. J'étais extrêmement flattée que Cyril pense à moi pour cette nouvelle série. Quand je l'ai rencontré pour la première fois, j'ai eu l’impression que l'on se connaissait depuis toujours. J'ai tout de suite senti qu'on était connectés. Quand il m'a parlé de son projet, je ne me suis posé aucune question : j'ai compris que c'était un moment décisif pour lui, et je voulais en faire partie. Il devait revenir à la peinture après des années, en abordant le sujet infiniment complexe du corps des êtres humains. Spontanément, toute l'équipe s'est fédérée autour de cette cause. C'est vraiment difficile, ce que vit cette espèce actuellement, et nous tenions à montrer notre soutien en nous représentant dans des silhouettes d’hominidés. Ça tombait sous le sens pour tout le monde, Patrick Juvet, Virginie Despentes, Rick Owens, Cameron Diaz et les autres. Dans un revirement extrêmement émouvant, Cyril a fini par se mettre en scène dans son propre rôle, et le tableau a été intégré à la série.

Dans différentes prises de parole, vous avez laissé entendre que le thème des serviettes de table résonnait de manière particulière avec votre histoire personnelle.

J'ai toujours cultivé le regard que je portais sur les objets de l'ordinaire, mais cela ne fait que quelques années que je travaille réellement sur ces instruments dans mes différentes collaborations. Je crois que cela me vient d'une certaine nostalgie de la maison de mes grands-parents qui vivaient à l'époque dans le marais – les coquetiers, les coucous, les toiles cirées, les pieds de lampe vernissés… Dans le même registre, les serviettes de table concentrent elles aussi beaucoup d’émotions pour moi, à plus forte raison lorsqu’elles sont roses. Elles sont là pour accompagner les moments sacrés. Rose saumon à l’heure du café, rose poudré dans un dîner romantique, rose à motif floral pour un pique-nique à la campagne. J'aimerais que tout le monde puisse les percevoir comme un accessoire chic, qui appelle nécessairement la tendresse et l’amour à chaque étape de nos vies. Les numéros de téléphone devraient s'échanger sur des serviettes de table. Les banquettes de voiture devraient être faites en serviettes de table. Les voiles des mariées aussi pourraient être des serviettes de table.

Les projets très éclectiques que vous avez menés dernièrement sont-ils pour vous une façon de faire vos adieux au monde de la mode ?

Pas du tout ! Pour moi, tout cela n'a jamais cessé d’être la mode. L'ensemble du projet a d’ailleurs été chapeauté par l’agence Mannequin Madeleine. Qu'il s'agisse de vêtements ou de peintures, Cyril mise toujours sur un choix de matériaux précis. Il est sans cesse à la recherche de la meilleure matière pour habiller notre image à nous. Dans cette série par exemple, le dressing est informel, mais très raffiné. Cyril a laissé au placard les toiles de coton et l'apprêt pour laisser la place aux papiers coréen et japonais, délicatement tendus sur de petits panneaux de bois et couronnés par des cadres en faïence, la touche signature. C'est ce qui me fait dire qu'au fond, j'aime les robes comme j’aime la vie : sans couture, légèrement texturée, très près du corps.