/e/ exposition/Programmation / À faire le mort en se couchant sur le côté
by Eden Sarna

> écrit il y a par

[FR]
C'est proche. Nous pouvons le sentir. Il n'y a pas de mots pour cela. C'est l'innommable. La mort. Catastrophe, désastre, calamité, cataclysme. Extinction. Tous ces noms semblent inappropriés pour décrire ce qui doit advenir. Même s'il est gris et radioactif, même si des créatures mutantes errent à sa surface, un monde apocalyptique reste toujours un monde. C'est un sol, c'est une fondation, c'est un sens. Un monde apocalyptique est toujours un monde parce qu'il implique la survie : non pas la survie des êtres, mais celle du sens - la capacité de créer et de nommer. Ce qui s'approche est d'une toute autre nature. C'est l'innommable, c'est le sans fondement, c'est le dernier événement. Comment pouvons-nous le nommer ? Que font ceux qui ont perdu la capacité de créer et de donner des noms ?

Ils réemploient.

L'avenir est l'amont qui transporte le changement, l'abondance infinie du possible, l'origine du nouveau. Il s'est asséché. Il ne nous est accessible que par le biais de son impossibilité parce qu'il est nié, annulé. Nous courons si vite vers la falaise, vers le bord du monde. Nous sommes suspendus dans l'air. Comme dans un cartoon, nos jambes bougent encore comme si cela pouvait changer quelque chose. Bientôt, nous n’avancerons plus mais nous chuterons. Qu'arrive-t-il à ceux qui ont dépassé l'horizon ? Que font ceux qui se sont aventurés malgré eux au-delà du point de fuite ?

Ils font demi-tour.

Le temps n'existe plus puisque l'avenir est annulé. Du moins pas tel que nous l'avons connu. Une différence de régime temporel est annoncée. On réutilise, on revient en arrière, on nie la perte. Le passé devient la seule source de réconfort et nous nous en nourrissons. Nous en sommes dépendants. Pour récolter son énergie, pour redéployer le temps lui-même, nous devenons des archeo-ingénieurs. Nous construisons les machines et les outils du passé. Des mausolées virtuels. Des algorithmes horribles. Comme des enfants accros au sucre, nous essayons de ralentir son passage en le gardant : nous gardons le passé présent. C'est un maintenant qui est une fois. C'est un présent reproduit, une boucle rétro-temporelle, c'est un hommage sans fin.

Mais quelque chose d'inattendu se produit alors.

Dans le passé, nous trouvons ce qui n'a jamais été présent. Du passé, s'ouvre ce qui n'est jamais vraiment passé. Dans les ruines, un crâne est découvert ; c'est le crâne de celui qui n'a jamais vécu - un voyageur du temps cybernétique. Du puits, nous tirons un nouvel élément. Il devient évident que le mythe, l'histoire, la technique, les outils que nous avons créés pour nous livrer à notre obsession produisent toujours un surplus. Il n'y a pas de découverte sans couverture, il n'y a pas de dévoilement sans voile. En eux, une nouvelle promesse pourrait être trouvée.


[ENG]
It is nearing. We can sense it. There are no words for it. It is the unnamable. Death. Catastrophe, disaster, calamity, cataclysm. Extinction. These are all unfitting names for what is to come. An apocalyptic world is still a world. Although it is grey and radioactive, although mutated creatures roam its ground – it is still a world. It is ground, it is foundation, it is sense. An apocalyptic world is still a world because it grounds some form of survival: not the survival of beings, but that of sense – the ability to create and give names. What nears is of a different nature completely. It is the unnamable, it is the groundless, it is the last event. How can we name that? What do those who have lost the ability to create and give words do?

They reuse.

The future. The upstream that ferries change, the endless bounty of the possible, the origin of the new. It has dried up. It is accessible to us only by way of its impossibility. It is because it is negated, cancelled. We have run so fast towards the cliff, towards the edge of the world. We are suspended in the air. Like a cartoon, our legs still move as if it matters. Soon, forward will be replaced with downwards. What happens to those who have crossed the horizon? What do those who have unwillingly ventured beyond the vanishing point do?

They turn back.

Since the future is cancelled, there is no time. At least not as we have known it to be. A difference in the temporal regime is announced. We reuse, we turn back, we deny the loss. The past becomes the only source of solace. We feed on it. We are addicted to it. To harvest its energy, to redeploy time itself, we train ourselves in becoming archa-engineers. We construct machines and tools of the past. Virtual mausoleums. Ghastly algorithms. Like sugar-crazed children, we try to slow down its passing by hording it: we keep the past present. It is a now that is a once. It is a reproduced present, a turning back from the future, it is an endless homage.

But then something unexpected happens.

In the past we find that which was never present. From the past, that which has never passed opens up. From the ruins a skull is uncovered, it is the skull of him who has never lived – a cybernetic time-traveler. From the well we pull up a new element. It becomes clear that myth, history, technique, the tools that we have crafted to indulge in our obsession, always produce a surplus. There is no uncovering without a cover, there is no unveiling without a veil. In them a new promise might be found.